Mes chers petits enfants,
Il y a deux jours déjà, je quittais Rome et le concile; je me rendais en paradis pour organiser mes visites annuelles. Et lorsque, là-haut, je préparais ma tournée à Fribourg, et que je bourrais ma hotte de jouets et de sucreries, je fus très surpris en examinant la ville. Partout, en effet, se dressaient de nouvelles constructions; d’immenses grues poussaient à tous les coins de rues. Je ne retrouvais plus la grue familière de ma tour. Et j’ai dû me pencher un peu au-dessus des nuages pour la découvrir, perdue au milieu des buildings et des blocs modernes. Heureusement, le cœur de Fribourg n’avait pas changé. Les vielles rues sinueuses, les hautes maisons étroites et sages entouraient encore avec bienveillance ma cathédrale. Quand je me suis embarqué sur mon rayon de lune, j’espérais vous retrouver tous, mes chers petits, gais et joyeux comme l’an dernier. J’espérais vous retrouver souriants et mon cœur se réjouissait à la pensée de vous rassembler, attentifs autour de moi.
J’ai ce soir, mes chers enfants, beaucoup de choses à vous dire. L’années passée, vous vous en souvenez peut-être, je vous avais parlé de la ville, de ses imperfections un peu cocasses, de sa chronique si souvent plaisante. Et c’était la joie pour tous les saints du paradis de commenter gentiment les faits et gestes des adultes. Mais, depuis ma dernière visite, au firmament on a surtout parlé des enfants, en particulier de vous qui m’entourez ce soir. Quelques bons Fribourgeois égarés en paradis, cela arrive de temps à autre, quelques bons Fribourgeois nous racontèrent un jour vos petites incartades. Certes, parmi vous, il y a nombre d’enfants très sages, mais il y en a aussi de moins sages.
N’est-il pas vrai que vous jouez souvent des vilains tours ? N’est-il pas vrai que vous vous battez, que vous guerroyez comme des sauvages dans les ruelles des vieux quartiers ? Combien de fois ne vous ai-je pas vus briser à coups de pierres les vitres des maisons abandonnées ! Et je pourrais vous citer bien d’autres petites farces plus ou moins malicieuses que vous répandez dans la ville. On m’a même glissé à l’oreille que les plus grands d’entre vous s’amusaient à démolir les mémorables demeures de la rue des Bouchers. Vraiment, mes enfants, n’avez-vous pas d’autres occasions plus innocentes de vous divertir ? Vous n’êtes tout de même pas obligés d’imiter les grandes personnes…
Quand je vous dis ces choses un peu désagréables, ne croyez pas, mes chers petits, que mon amour pour vous ait disparu. Non, vous êtes mes préférés. Comprenez alors que, lorsqu’on me fait des reproches à votre sujet, je suis toujours fort triste. Dans une ville telle que Fribourg, bourrée de personnes dévotes, farcie de bons moines et de vénérables religieuses, vous vous devez d’être des enfants modèles. Vous vous devez d’être des petits anges au milieu d’une aussi sainte population.
Cependant, mes chers petits amis, cela me sert à rien d’être sage comme des images, si vous ne restez pas joyeux et simples. Souvent, du paradis, je vous vois devenir soucieux ; je vois vos fronts barrés de rides sous des mèches en désordre. D’année en année, vous perdez votre spontanéité. Vous êtes bientôt des grandes personnes. Ne soyez donc pas tristes! Ayez une âme ouverte et gaie, car c’est à ces âmes que Dieu offre le paradis. Grandissez! mais garder au cœur votre pureté enfantine, votre joie intérieure.
Quand le rayon de lune m’a déposé au collège, j’ai été heureux de me trouver dans une cour moins marécageuse que naguère et ornée d’un nouveau bâtiment scolaire tout neuf. C’est là que Fribourg m’est apparue débordante de nouveautés, agrandie, rénovée. J’ai appris, dès mon arrivée, que le Grand Conseil avait désigné comme prévôt de ma cathédrale un chanoine toujours jeune et grand ami des enfants. C’est heureux que Fribourg croisse, c’est heureux que Fribourg se rajeunisse. Mais il faut que l’âme de Fribourg demeure, de même que votr âme, mes chers enfants.
Certes, il me resterait beaucoup à vous dire, mes amis, mais il se fait tard, la route est longue jusqu’à Rome et j’ai d’autres petits garçons, d’autres petites filles à récompenser cette nuit. Je dois aussi regagner Saint Pierre où j’ai ms place. Je suis appelé à veiller sur le concile grâce é mon expérience, cette longue expérience inscrite dans ma grande barbe séculaire. Pensez que j’étais déjà présent à Nicée, au côté de l’empereur Constantin, lors du premier concile œcuménique.
Mais avant de vous laisser, mes enfants, j’aimerais m’acquitter de la mission que Sa Sainteté le pape m’a confiée à mon départ de Rome. Le Saint-Père vous demande de prier pour une pleine réussite de concile. Il me charge de vous bénir bien cordialement.
Saint-Nicolas 1962 : Jacques Savoy /
Commentaires de Louis Dietrich:
Après avoir joué un rôle prépondérant dans le choix des sujets au cours de la période Reichlen, l'actualité est restée absente des réalisations d'élèves qui ont suivi. La voilà qui revient pour une occasion des plus illustres qui tient de l'événement historique: le Concile Vatican II, convoqué par Sa Sainteté le Pape Jean XXIII, est en cours. Il a modifié l'aspect intérieur de la Basilique de St-Pierre, à Rome. L'illustrateur s'en sert pour imaginer Saint Nicolas parmi les évêques en session, qui s'enfuit "en douce" pour occuper sa place dans la fête de Fribourg