Voici une année riche de réalisations et de promesses ! Il faut croire que le succès remporté en 1916 attira sur le sujet l’attention d’E. Reichlen. Avant de reparler des cartes, signalons donc la parution, en cette fin d’année 1917, d’une brochure intitulée Ma Légende. Souvenir de la Foire de la Saint-Nicolas. Et, à cette occasion, E. Reichlen se tourne vers une expression plus naturelle, et plus naïve, de la tradition populaire. C'est qu' une part importante de son activité - qui contribuera à sa notoriété - est consacrée désormais à l’illustration d'ouvrages populaires de contes et légendes. Le livre "Légendes de la Gruyère", de M.-A. Bovet, illustré de 60 dessins de Reichlen, paraîtra en décembre 1918, et le succès fut tel que la 2e édition sortira en 1920 déjà. Dans la brochure de 1917, un bref texte, signé par Auguste Schorderet, professeur de littérature à l’Ecole Normale, est suivi de huit dessins, retraçant la légende des trois enfants tués par un boucher sanguinaire et ressuscités par le saint Evêque de Myre. "La Liberté" du 5 décembre 1917 annonce cette "délicieuse plaquette, venue à sa heure ..." et ajoute qu'elle sera sans doute "rapidement enlevée par les nombreux amis qui visiteront notre traditionnelle fête de la Foire de Saint-Nicolas". Le miracle des trois enfants ressuscités est le plus célèbre de la Légende Dorée concernant Saint Nicolas. Le sujet a été abondamment traité par l’imagerie religieuse: des statues, des vitraux, de grandes peintures d'autel (à l'église de Delémont, par exemple), mais aussi des enluminures et même des timbres-poste, reproduisent de manière très réaliste le fameux saloir et les enfants qui en émergent. Ce qui pourrait expliquer une éventuelle confusion avec un autre miracle attribué à Saint Nicolas, celui où il libère trois prisonniers retenus dans une tour.
Pour raconter la légende, Eugène Reichlen suit pas à pas les paroles de la Complainte dont l'origine se perd dans la nuit des temps, telles qu'elles auraient été réécrites par Gérard de Nerval. Il utilise la technique qui lui est chère entre toutes, celle du dessin à la plume. Très curieusement, ces images - comme d'ailleurs celles des Légendes de la Gruyère - ont souvent été prises pour des gravures sur bois, technique que Reichlen n’a, à ma connaissance, jamais pratiquée. Mais il est de fait qu’une extrême habileté dans le traitement des surfaces (image 3: les hiboux et les branchages sur fond noir), ainsi que la vigueur des lignes parallèles, peuvent créer cette confusion. Suivons donc le récit.
Image 1 : Ils étaient trois petits enfants - Qui s’en allaient glaner aux champs ...
L’auteur imagine une fillette et deux garçonnets; la légende, elle, ne parle nullement de présence féminine. Le paysage est très remarquable: les enfants glanent dans les collines de Charmey; en face, le village de Cerniat; et le Moléson ferme la vallée. Ainsi la Légende s’inscrit dans la géographie fribourgeoise, dans la région même où la famille Reichlen passait ses vacances.
Image 2 : S’en sont allés chez le boucher - « Boucher, voudrais-tu nous loger ? »...
Image 3 : Ils n’étaient pas plus tôt entrés - Que le boucher les a tués ...
Image 4 : Saint Nicolas au bout de sept ans - Vint à passer dedans ce champ ...
Image 5 : Du p’tit salé je veux avoir - Qu’il y a sept ans qui est au saloir ...
Image 6 : Petits enfants qui dormez là - Je suis le grand Saint Nicolas ...
Et le Saint étendit trois doigts - Les p’tits se lèvent tous les trois ...
Image 7 : Le premier dit : « J’ai bien dormi » - Le second dit : « Et moi aussi! » ..
Image 8 : Et le troisième leur répondit - « Je croyais être en Paradis ».
Observez les détails: cette délicate narration imagée ne sera pas sans influence sur les cartes à venir. Par exemple, dans l'image qui porte le titre « Ma Légende », les angelots sont classiquement nus, comme sur la carte de 1916. Mais les enfants , eux, sont vêtus d’une petite robe paysanne. Nous la retrouverons avec quelques variantes sur les angelots dessinés les années suivantes, qui seront habituellement au nombre de trois, comme les enfants du miracle. Et la carte de 1949 sera très proche du dessin-titre de cette brochure.
Commentaires de Louis Dietrich:
Voici une année riche de réalisations et de promesses ! Il faut croire que le succès remporté en 1916 attira sur le sujet l’attention d’E. Reichlen. Avant de reparler des cartes, signalons donc la parution, en cette fin d’année 1917, d’une brochure intitulée Ma Légende. Souvenir de la Foire de la Saint-Nicolas. Et, à cette occasion, E. Reichlen se tourne vers une expression plus naturelle, et plus naïve, de la tradition populaire. C'est qu' une part importante de son activité - qui contribuera à sa notoriété - est consacrée désormais à l’illustration d'ouvrages populaires de contes et légendes. Le livre "Légendes de la Gruyère", de M.-A. Bovet, illustré de 60 dessins de Reichlen, paraîtra en décembre 1918, et le succès fut tel que la 2e édition sortira en 1920 déjà. Dans la brochure de 1917, un bref texte, signé par Auguste Schorderet, professeur de littérature à l’Ecole Normale, est suivi de huit dessins, retraçant la légende des trois enfants tués par un boucher sanguinaire et ressuscités par le saint Evêque de Myre. "La Liberté" du 5 décembre 1917 annonce cette "délicieuse plaquette, venue à sa heure ..." et ajoute qu'elle sera sans doute "rapidement enlevée par les nombreux amis qui visiteront notre traditionnelle fête de la Foire de Saint-Nicolas". Le miracle des trois enfants ressuscités est le plus célèbre de la Légende Dorée concernant Saint Nicolas. Le sujet a été abondamment traité par l’imagerie religieuse: des statues, des vitraux, de grandes peintures d'autel (à l'église de Delémont, par exemple), mais aussi des enluminures et même des timbres-poste, reproduisent de manière très réaliste le fameux saloir et les enfants qui en émergent. Ce qui pourrait expliquer une éventuelle confusion avec un autre miracle attribué à Saint Nicolas, celui où il libère trois prisonniers retenus dans une tour.
Pour raconter la légende, Eugène Reichlen suit pas à pas les paroles de la Complainte dont l'origine se perd dans la nuit des temps, telles qu'elles auraient été réécrites par Gérard de Nerval. Il utilise la technique qui lui est chère entre toutes, celle du dessin à la plume. Très curieusement, ces images - comme d'ailleurs celles des Légendes de la Gruyère - ont souvent été prises pour des gravures sur bois, technique que Reichlen n’a, à ma connaissance, jamais pratiquée. Mais il est de fait qu’une extrême habileté dans le traitement des surfaces (image 3: les hiboux et les branchages sur fond noir), ainsi que la vigueur des lignes parallèles, peuvent créer cette confusion. Suivons donc le récit.
Image 1 : Ils étaient trois petits enfants - Qui s’en allaient glaner aux champs ...
L’auteur imagine une fillette et deux garçonnets; la légende, elle, ne parle nullement de présence féminine. Le paysage est très remarquable: les enfants glanent dans les collines de Charmey; en face, le village de Cerniat; et le Moléson ferme la vallée. Ainsi la Légende s’inscrit dans la géographie fribourgeoise, dans la région même où la famille Reichlen passait ses vacances.
Image 2 : S’en sont allés chez le boucher - « Boucher, voudrais-tu nous loger ? »...
Image 3 : Ils n’étaient pas plus tôt entrés - Que le boucher les a tués ...
Image 4 : Saint Nicolas au bout de sept ans - Vint à passer dedans ce champ ...
Image 5 : Du p’tit salé je veux avoir - Qu’il y a sept ans qui est au saloir ...
Image 6 : Petits enfants qui dormez là - Je suis le grand Saint Nicolas ...
Et le Saint étendit trois doigts - Les p’tits se lèvent tous les trois ...
Image 7 : Le premier dit : « J’ai bien dormi » - Le second dit : « Et moi aussi! » ..
Image 8 : Et le troisième leur répondit - « Je croyais être en Paradis ».
Observez les détails: cette délicate narration imagée ne sera pas sans influence sur les cartes à venir. Par exemple, dans l'image qui porte le titre « Ma Légende », les angelots sont classiquement nus, comme sur la carte de 1916. Mais les enfants , eux, sont vêtus d’une petite robe paysanne. Nous la retrouverons avec quelques variantes sur les angelots dessinés les années suivantes, qui seront habituellement au nombre de trois, comme les enfants du miracle. Et la carte de 1949 sera très proche du dessin-titre de cette brochure.